Dans les savanes protégées de l'Afrique de l'Ouest, les éléphants dépendent fortement d'arbres et d'arbustes pour se nourrir, surtout en saison sèche. L'écosystème WAPOK (W-Arly-Pendjari-Oti-Mandouri-Keran), une vaste zone d'aires protégées qui s'étend sur quatre pays – Bénin, Burkina Faso, Niger et Togo – constitue l'un des derniers refuges de ces éléphants. Or une nouvelle étude montre comment le changement climatique pourrait bouleverser ces plantes, et par conséquent, la survie des éléphants du WAPOK.
Kolawolé Valère Salako, l'un des auteurs de l'étude, chercheur et spécialiste en modélisation écologique et en dynamique des écosystèmes, explique à The Conversation Africa comment le changement climatique risque d'affecter l'alimentation des éléphants.
En quoi l'étude sur cet écosystème est-elle importante ?
En Afrique de l’Ouest, le complexe W–Arli–Pendjari–Oti–Mandouri–Kéran (WAPOK) est la plus vaste zone protégée des savanes (31231 km2), étendue sur quatre pays dont le Bénin, le Niger, le Togo, et le Burkina Faso. Ce complexe abrite non seulement la plus grande population d’éléphants de savanes africaines Loxodonta africana d’Afrique de l’Ouest, avec environ 5 000 individus, mais aussi d’autres espèces emblématiques comme le lion, le léopard, le guépard, l'hippopotame et le buffle. Les éléphants restent le plus grand mammifère terrestre dans le complexe, et constituent de ce fait un attrait touristique important. Leur conservation reste non seulement une priorité environnementale, mais aussi touristique.
Cependant, le complexe WAPOK se trouve dans l’une des zones les plus exposées aux effets du changement climatique. Les projections suggèrent que d'ici le milieu du siècle, dans un scénario d'émissions modérées, les températures en Afrique de l'Ouest pourraient augmenter de 1,1 °C à 1,8 °C , et même au-delà dans un scénario de fortes émissions.
Une telle augmentation pourrait affecter la distribution des habitats favorables au développement et à la persistance de la faune et de la flore, donc la disponibilité d’espèces clés d’arbres et arbustes. Or ces derniers constituent d’importantes ressources alimentaires des éléphants en saison sèche.
Notre compréhension de l’impact potentiel du changement climatique sur ces ressources alimentaires reste encore limitée. Ce qui ne permet pas, pour l'heure, une meilleure intégration des risques du changement climatique dans les stratégies de conservation et de gestion durable, notamment des éléphants dans le complexe.
Ainsi, il est crucial de comprendre comment le changement climatique pourrait modifier l’habitat de ces ressources alimentaires des éléphants. Une meilleure compréhension de l'évolution de ces habitats permettra d’anticiper les impacts sur leur survie et d’orienter les actions de conservation.
Qu'est ce qui a été fait dans cette étude ?
La présente étude est une investigation pilote qui s’est focalisée sur 14 espèces d’arbres et arbustes. Toutes ces espèces ont été préalablement identifiées comme importantes ressources alimentaires des éléphants, notamment en saison sèche. Il s’agit principalement d’explorer comment le changement climatique pourrait affecter la distribution des habitats favorables à la persistance de ces espèces alimentaires.
Pour cela, les chercheurs ont utilisé deux scénarios climatiques : un scénario à émissions modérées (RCP 4.5) et un scénario à fortes émissions (RCP 8.5), à l’horizon 2055. RCP signifie “Representative Concentration Pathway” c’est-à-dire une trajectoire d'évolution des émissions de gaz.
Quelles sont les principales conclusions de votre étude ?
Les résultats montrent que le changement climatique pourrait profondément affecter la disponibilité des plantes dont les éléphants dépendent pour se nourrir.
Ces résultats suggèrent que la disponibilité des habitats favorables aux 14 espèces d’arbres et arbustes clés du régime alimentaire des éléphants pourrait être significativement modifiée d’ici 2055, plus précisément, pour 50 % des espèces (c'est-à-dire 7 d'entre elles).
Par ailleurs, même si de nouvelles zones deviennent favorables à certaines plantes, cela ne veut pas dire qu’elles pourront s'y installer à temps. En effet, certaines espèces mettent beaucoup de temps à se déplacer ou à pousser ailleurs. En conséquence, les plantes pourraient rester confinées à leurs zones actuelles. Cela limiterait les ressources alimentaires disponibles pour les éléphants, même si, en théorie, davantage d’espace paraît accessible.
Qu’impliquent les changements d’habitat prévus pour les populations d’éléphants ?
Les modifications des aires de répartition des espèces alimentaires induisent un risque de changement dans le régime alimentaire des éléphants. Certaines ressources alimentaires actuelles des éléphants pourraient devenir rares. Ce qui va réduire la diversité du régime alimentaire, et obliger les éléphants à consommer des espèces moins appréciées), et probablement moins nutritives.
A l'inverse, certaines ressources alimentaires actuellement négligées par les éléphants et avec des valeurs nutritives intéressantes pourraient devenir plus abondantes et compenser la rareté des espèces actuellement consommées.
Aussi, pour compenser cette rareté de ressources alimentaires précieuses, les éléphants pourraient s’aventurer hors des aires protégées. Par exemple, ils pourraient pénétrer dans les zones agricoles ou agroforestières situées à proximité des réserves. Cela augmenterait les risques de conflits entre les hommes et les éléphants.
Quels types de réponses ou de stratégies de protection recommanderiez-vous ?
Face à ces changements annoncés, il est possible d'agir. Plusieurs pistes sont proposées pour anticiper les impacts sur les éléphants et préserver l'équilibre de l'écosystème
• Un suivi écologique ciblé : effectuer le suivi de ces espèces, notamment celles ayant une faible capacité d'expansion, par exemple (T. indica et B. aethiopum) pour anticiper les pénuries alimentaires.
• L'enrichissement : renforcer les populations de ces espèces alimentaires clés dans les zones à fort risque de pertes d’aires favorables, mais aussi dans les zones identifiées comme fortement favorables dans le futur, et actuellement moins occupées.
• Renforcer les actions de conservation dans les zones adjacentes au complexe WAPOK : la plupart de ces ressources alimentaires des éléphants sont aussi convoitées par les populations humaines environnantes pour notamment les produits forestiers non-ligneux (fruits, gommes, résines, etc.). Ce qui favorise l'avancée des activités agricoles dans le WAPOK.
• Intégrer la plantation de ces espèces alimentaires dans les systèmes agricoles en périphérie du WAPOK pourrait réduire les futurs conflits homme – éléphants.
D’autres travaux sont toutefois nécessaires. Il faudra non seulement étendre cette étude pilote à un ensemble plus large d’espèces composant le régime alimentaire des éléphants de savanes dans le WAPOK mais aussi explorer les implications nutritionnelles de ces impacts potentiels.